vendredi 10 avril 2020

Je lis

Pensant pouvoir se rendre aisément en France depuis la Tunisie, Jocelyne, une Ivoirienne quadragénaire, s'est laissée payer un billet d'avion pour Tunis. Elle y restera bloquée pendant deux ans à travailler dans de difficiles conditions. À son retour en Côte d'Ivoire, la déception de son entourage et le poids de l'échec la feront déménager à l'autre bout d'Abidjan pour tourner définitivement la page de son passé.

"Je m'appelle Jocelyne mais on me surnomme Beyoncé car j'adore la musique et la danse. Je suis partie à Tunis en avion il y a presque trois ans. Ici, en Côte d'Ivoire, on m'avait dit que je pouvais facilement me rendre en France depuis la Tunisie, qu'il y avait un métro qui reliait le pays à l'Italie puis un autre métro de l'Italie à la France. Mon objectif a toujours été la France car je voulais revoir ma mère que je n'ai pas vu depuis 30 ans. Elle y est partie quand j'étais très jeune.
Je me suis décidée à partir lorsque mon mari est décédé. Je n'arrivais pas à subvenir seule aux besoins de ma famille. J'ai quatre enfants de 10, 13, 19 et 21 ans. Ils sont partis vivre chez leurs grands-parents paternels et moi je suis partie seule pour la Tunisie. Quand j'ai vu les petites embarcations fragiles sur lesquelles ils voulaient nous mettre pour traverser la mer, j'ai dit non tout de suite. J'ai des enfants, hors de question de prendre ce risque.
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le meilleur passage :
En Tunisie, quand tu es noire tu te caches tout le temps
Peu après, j'ai été agressée deux fois à l'arme blanche en rentrant du travail. Je sortais tard, vers minuit et je rentrais seule dans un quartier mal fréquenté. Ce sont des jeunes Tunisiens qui m'ont agressé, ils ont pris mon argent, mon portable et mon sac. Sans papiers, impossible d'aller porter plainte à la police. C'est là que j'ai voulu rentrer en Côte d'Ivoire, mais je ne pouvais pas tout quitter du jour au lendemain, il me fallait un peu d'argent pour me réinstaller.
Donc j'ai changé d'emploi, j'ai commencé à travailler dans une clinique vétérinaire où je donnais à manger aux animaux....................
 Les choses se sont compliquées aussi avec mon patron qui voulait coucher avec moi, mais j'ai résisté, je lui disais que je sa femme était aussi ma patronne, qu'elle était gentille avec moi, que je ne pouvais pas lui faire ça. Il m'a harcelée pendant des mois mais il n'est jamais parvenu à ses fins. Par contre il m'a fait vivre un enfer, il me criait dessus tout le temps.

De manière générale, les hommes Tunisiens sont très irrespectueux des femmes, surtout les noires. Il m'est arrivée de me faire agripper les seins par un inconnu dans la rue, ou de me faire claquer les fesses plusieurs fois. Ce qui est choquant c'est qu'ils sont souvent très jeunes. En gros quand tu es noire, tu te caches tout le temps, pour aller travailler, pour rentrer chez toi… Tu as peur soit d'être agressée soit d'être arrêtée par la police. C'était un calvaire.
Je n'ai jamais réussi à envoyer de l'argent au pays pendant ces deux années en Tunisie. Comme j'avais peur d'être agressée, j'ai déménagé dans un meilleur quartier et je dépensais tout ce que je gagnais pour la vie courante : la nourriture, mon loyer, des médicaments pour mes blessures, etc.
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Finalement j'ai quitté mon quartier d'origine, Riviera (dans l'est d'Abidjan, ndlr), car ça commençait à beaucoup parler sur moi, les gens me jugeaient, ils disaient que j'avais échoué sans savoir ce qui m'était arrivé. Ils pensaient que j'avais juste quitté l'aventure. Une nouvelle fois, j'ai laissé tout ce que je connaissais derrière moi. Ici à Songon (une petite commune à l'ouest d'Abidjan, ndlr) personne ne connaît mon histoire, c'est une nouvelle vie, personne ne peut parler de moi.
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Ici on entend beaucoup de mal sur la Libye, beaucoup moins suIr la Tunisie. Si j'avais su, jamais je ne serais partie. Il y a des gens qui sont revenus comme moi et qui disent de ne pas partir mais le problème c'est que ceux qui veulent vraiment partir ont le cerveau déjà lavé, ils ne veulent pas vous croire, ils pensent qu'ils peuvent faire mieux que vous. Et surtout, les passeurs leur payent le billet d'avion donc ça les incite. Moi je parle à personne de ça, sauf à mes enfants, je leur dis que ce n'est pas une option. Mais je ne leur donne pas de détails sur ce qu'il m'est arrivé, c'est trop difficile d'en parler. Au final je ne veux pas avoir de regrets car grâce à cette expérience j'ai ouvert mon restaurant, c'est un rêve durement payé mais aussi et surtout une nouvelle vie."

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