lundi 6 mai 2024

Lu


p. 114 : Hé là, jolie petite dame. L'un des ouvriers, une grande table sous le bras, m'interpelle à quelques mètres de là. Quand je le regarde, il s'arrête, pose la table, s'y appuie. 

Ma jolie petite dame, tu trouves ça juste ? Que toi tu te balades au soleil pendant que je trime, hein ? Non mais quel monde ! Sa voix chantante est acerbe. Il est plus âgé que moi, il frise peut-être la cinquantaine. Des mèches de cheveux humides sont collées à son front, même quand il secoue la tête. Je me demande à qui d'autre dans cette maisonnée, il sortirait une chose pareille ? Dans la hiérarchie sociale qu'il affectionne, dans ce qu'il entend par "juste", qui a le droit de marcher, de respirer, de profiter du samedi ? Il a des poches bleuatres sous les yeux, des bajoues prononcées. Tout son corps s'avachit tandis qu'il attend la réponse. Je me rends compte qu'il me dégoûte. Sa colère impuissante, son besoin de s'affirmer _ de me dire à qui selon lui, ce monde appartient. Je me détourne, me dirige vers les marches à l'arrière du jardin. Ma petite dame ? s'appelle-t-il. Je plaisante ma jolie petite dame, reviens ! Je marche jusqu'à ce que je n'entende plus son rire.