p. 34 :
la difficulté du labeur n’avait rien changé à sa détermination : la
pauvreté c’est la face visible de l’enfer, mieux vaut mourir que rester pauvre,
disait-il….
p.35 :
tous les 2 ans, leur fils revenait l’été pour un mois complet. Il distribuait
quelques billets et des pacotilles made in France, que personne n’aurait
échangées contre un bloc d’émeraude. Ici la friperie de Barbès vous donne un
air d’importance et ça, ça n’a pas de prix...
p.37 :
quand on vient de France, on peut épouser qui on veut, il le savait. En
revanche, personne ne pouvait se targuer de connaître son activité en France. A
son arrivée on se contenta d’admirer son pouvoir d’achat, faramineux par rapport
à la moyenne de l’île…
p.43 :
France-Sénégal : l’unité au prix fort pour des étudiants fils de paysans,
des expertes du ménage qui s’habillent chez Tati, des gardiens de magasin qui
se musclent aux nouilles, des touristes qui visitent Paris juchés sur des
camions à bennes, des arroseurs de jardin qui coupent des roses pour Mme Dupont
sans jamais pouvoir en offrir à leur fertile épouse, je trouve le tarif aussi
indécent qu’une fessée administrée à un mourant.
p.50 :
de ma vie en France. Il m’avait vu partir au bras d’un français après de
pompeuses noces qui ne laissaient rien présager des bourrasques à venir…
Habitué
à gérer les carences dans son pays sous-développé, il n’allait quand même pas
plaindre une sœur installée dans l’une des plus grandes puissances mondiales…Le
tiers-monde ne peut voir les plaies de l’Europe, les siennes l’aveuglent…
p.51 :
il me fallait « réussir »afin d’assumer la fonction assignée à tout
enfant de chez nous : servir de sécurité sociale aux siens. Cette
obligation d’assistance est le plus gros fardeau que traînent les émigrés….
p.60 :
après la colonisation historiquement reconnue, règne maintenant une sorte de
colonisation mentale : les jeunes joueurs vénéraient et vénèrent encore la
France. A leurs yeux tout ce qui est enviable vient de France……Tenez, par
exemple, la seule télévision qui leur permet de voir les matchs, elle vient de
France. Son propriétaire, devenu un notable au village, a vécu en France. L’instituteur,
très savant, a fait une partie de ses études en France. Tous ceux qui occupent
des postes importants au pays ont étudié en France. Les femmes de nos
présidents successifs sont toutes françaises. Pour gagner les élections, le
Père-de-la-nation gagne d’abord la France. Les quelques joueurs sénégalais
riches et célèbres jouent en France. Pour entraîner l’équipe nationale, on a
toujours été cherché un Français. Même notre ex-président, pour vivre plus
longtemps s’est octroyé une retraite française. Alors sur l’île, même si on ne
sait pas distinguer, sur une carte, la France du Pérou, on sait en revanche
qu’elle rime franchement avec chance….
p.68 :
« l’honneur d’une femme vient de son lait ». Les outres sur leurs
genoux attestaient leur respect pour cette thèse millénaire. Quelle bouche
aurait osé nommer la pilule devant elles, au risque de se tordre à vie ?
Leur dire qu’en Europe on peut programmer et limiter les naissances aurait été
perçu comme une provocation….
p.69 :
on se fit humble pour me soutirer qui un billet, qui un t-shirt, au nom d’une
coutume— qui empêche bon nombre d’émigrés aux faibles moyens d’aller passer
leurs vacances au pays— selon laquelle la personne qui revient doit offrir des
cadeaux ; cadeaux dont la valeur est estimée à l’aune de la distance de
provenance et du lien avec le bénéficiaire. Je donnai raison, malgré moi aux
attentes démesurées qu’ils nourrissent à l’égard des « venus de
France ». Mes proches
souffraient de la convoitise : dès mon arrivée, on les avait imaginés
dépositaires d’une fortune…
p.97 :
Ah ! La vie, là-bas ! Une vraie vie de pacha ! Croyez-moi, ils
sont très riches, là-bas. Chaque couple habite, avec ses enfants, dans un
appartement luxueux, avec électricité et eau courante. Ce n’est pas comme chez
nous où quatre générations cohabitent sous le même toit. Chacun a sa voiture pour
aller au travail et amener les enfants à l’école ; sa télévision, où il
reçoit des chaînes du monde entier ; son frigo et son congélateur chargé
de bonne nourriture. Ils ont une vie très reposante………..dans les maisons, on se
nourrit tout aussi bien, de la viande autant qu’on veut. Ils mangent peu de
céréales, pas comme chez nous du riz à tous les repas……..et tout le monde
vit bien. Il n’y a pas de pauvres, car même à ceux qui n’ont pas de travail
l’Etat paie un salaire : ils appellent ça le RMI, le revenu minimum
d’insertion. Tu passes la journée à bailler devant ta télé, et on te refile le
revenu maximum d’un ingénieur de chez nous ! Afin que les familles gardent
un bon niveau de vie, l’Etat leur donne de l’argent en fonction du nombre d’enfant.
Alors plus ils procréent, plus ils ramassent…j’avais un voisin qui ne
travaillaient pas, ses deux femmes non plus, mais avec ses 10 enfants, tous
déclarés au nom de la première, il gagnait palus que moi qui travaillais. Les
Blancs n’auraient pas besoin de travailler s’ils faisaient beaucoup d’enfants,
mais ils n’aiment pas avoir autant que nous autres. Là-bas, tout le monde peut
devenir riche, regardez tout ce que j’ai maintenant. Là-bas, on gagne beaucoup
d’argent, même ceux qui ramassent les crottes de chien dans la rue, la Mairie
de Paris les paie….tout ce dont vous rêvez est possible. Il faut vraiment être
un imbécile pour rentrer pauvre de là-bas.
p.102 :
comment aurait-il pu avouer ; qu’il avait d’abord hanté les bouches du
métro, chapardé pour calmer sa faim, fait la manche, survécu à l’hiver grâce à
l’Armée du Salut avant de trouver un squat avec ses compagnons
d’infortune ?...perpétuel clandestin, c’est muni d’un faux titre de
séjour, photocopie de la carte de résident d’un copain- complice, qu’il avait
sillonné l’Hexagone, au bon vouloir d’employeurs peu scrupuleux…il avait
pratiqué le marteau-piqueur de chantier en chantier, par tous les
temps….l’apothéose de sa carrière en France, c’était lorsqu’il passa de
maître-chien à chien de maître : vigile dans une grande surface, il errait
entre les rayons, se pourléchant les babines devant des marchandises hors de sa
portée. Pour se venger de frères d’itinéraire qu’il jugeait assez arrogants pour faire
leurs courses comme des Blancs, ou trop pauvres pour être honnêtes. Plusieurs
fois ses griffes de faucon avaient enserré une proie maghrébine ou africaine,
lui garantissant les bonnes grâces de son chef. Ses victimes avaient fini par
comprendre que le pire ennemi de l’étranger, ce n’est pas seulement l’autochtone
raciste, la ressemblance n’étant pas un gage de solidarité….
p .117 :
Ecoute champion, lui dit-il, j’ai déjà assez dépensé comme ça, et tu ne
progresses vraiment pas. On va arrêter les frais. Tu me dois environ cent mille
balles. Il faudra que tu bosses pour ça. Comme tu la sais, ta carte de séjour
est périmée. Si tu t’étais débrouillé, le club aurait tout réglé en
vitesse : mon fric, tes papiers, tout, quoi. Mais là, tu n’as ni club ni
autre salaire ; le renouvellement de ta carte de séjour, faut même pas y
songer. J’ai un pote qui travaille sur un bateau, on ira le voir, je te ferai
engager là-bas. On ne lui demandera pas beaucoup, ça l’aidera à la fermer. Il
me versera ton salaire et quand tu auras fini de me rembourser, tu pourras
économiser de quoi aller faire la bamboula au pays…..