p.109 : "Je n’avais jamais vu de Juif auparavant et le propriétaire
de l’épicerie du coin était pour moi un objet curieux. Jusque là je n’avais
jamais entendu parler une langue étrangère et il m’arrivait de m’attarder à la
porte de l’épicerie pour écouter les sons bizarres qu’émettaient les Juifs en
parlant. Tous les Noirs du quartier détestaient les Juifs, non parce qu’ils nous
exploitaient, mais parce qu’on nous avait appris à la maison et à l’école du
dimanche que les Juifs étaient les « assassins du Christ ». Les Juifs
devenaient ainsi une proie tout indiquée pour nos sarcasmes et nos railleries.
L’épicier juif voyait accourir vers sa boutique toute une
bande de galopins noirs— nous étions âgés de sept, huit et neuf ans_ braillant
à tue-tête :
Juif, juif, juif, Qu’est-ce que tu broutes ?
Juif, juif
Tu donnes deux et tu prends cinq
C’est ça
Qui te fait vivre
Sanguinaires assassins du Christ
Ne te fie jamais à un Juif
Sanguinaires assassins du Christ
Que ne ferait un Juif ?
Rouquin
Pain azîme
Pour cinq »cents »
Une tête de Juif
Rouge, blanc, bleu
Ton père était un juif
Ta mère est une sale métèque
Qu’est-ce que t’es, bon Dieu ?
Et quand le propriétaire de la boutique montrait son crâne
chauve, nous les pauvres enfants faméliques, ignorants, victimes du préjugé
racial, chantions gaiement, fièrement :
Un œuf pourriNe frit pas
Un chien galeux
N’engraisse pas
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