"Nous sommes tous des singes français"
La une de Minute sur Christiane Taubira est infâme. Mais si elle existe, c’est aussi à cause de nous.
Nous aurions dû réagir plus vite, plus fort. Lorsque des manifestants agitent des bananes sur le passage de la garde des Sceaux et la traitent de guenon, ce n’est pas elle seulement qui est atteinte. Ce ne sont pas les Noirs seulement qui sont touchés. C’est nous, nous tous, quelles que soient nos origines ou la couleur de notre peau. Et c’est, nous en sommes persuadés, ce que pense une écrasante majorité de Français.
Christine Taubira a été blessée par cette injure dégradante. Tous nos compatriotes noirs l’ont été. Mais nous aussi, nous nous sommes sentis salis.
Devant ces images stupéfiantes, entendant ces mots indignes, nous sommes restés sans voix. C’est un tort! Comment se peut-il qu’au XXIe siècle certains de nos concitoyens, nos semblables, éduqués comme nous dans un grand pays que nous aimons, apprennent encore à leurs enfants l’humour nauséeux, la barbarie, la haine de l’autre et le mépris?
Ce racisme immonde, jaillissant soudain d’une nuit des temps où nous le croyions disparu, est une injure au genre humain tout entier. Et pourtant nous n’avons pas réagi.
Il y a tant de gens honorables, prompts à signer toutes sortes de pétitions : pour ou contre la pénalisation de la prostitution, l’écotaxe, le réchauffement climatique… Tant de grandes voix qui défendent dans notre pays la justice, la dignité, l’humanité chaque fois que nécessaire. Que ne les a-t-on entendues au lendemain des incidents d’Angers? Et nous, pourquoi n’avons-nous pas réagi?
Sidération? Crainte d’accorder trop d’importance à quelques imbéciles? Nous avons eu grand tort.
Puisse Christiane Taubira nous pardonner ce retard. Et tous ceux avec elle qui se sont sentis seuls. Qu’ils sachent tous que nous sommes plus qu’à côté d’eux. Nous sommes eux, ils sont nous.
Que nous soyons de droite, de gauche, du centre, qu’importe. Puisse cette réaction en susciter d’autres et inciter les personnalités de ce pays qui peuvent s’exprimer publiquement à crier leur réprobation scandalisée dont nous ne doutons pas un instant qu’ils la partagent avec nous. Nous le devons à nos compatriotes noirs. Nous le devons à nous-mêmes.
*Plusieurs personnalités ont signé cette tribune :
Florence Malraux, ancienne présidente de la commission d’avance sur recettes du CNC;
Bernard Murat, metteur en scène;
Denis Olivennes, chef d’entreprise;
Benjamin Stora, historien;
Danièle Thompson, cinéaste.
Jeanne Moreau - Le Journal du Dimanche
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