l'auteur les a vu...mais quoi donc ?....les riches...
«Corentin Fohlen nous conduit hors des sentiers battus des lieux communs attendus sur la misère et le chaos social, pour nous entraîner dans les arcarnes d’un quotidien plus terre à terre, plus intime et plus humain. Celui de celles et de ceux qui travaillent et dont l’extraordinaire appétit de vivre maintient ce pays debout. Plus question de souffrance ni de misère, les bidonvilles n’apparaissent qu’en filigrane et le parti pris est celui de camper les portraits dans un éclairage qui privilégie une lumière directe, sans fioriture, ni joliesse, mais définitivement éloigné du registre du deuil et de la jérémiade coutumiers des medias de masse lorsqu’il s’agit de parler d’Haiti.? [...]
C’est à la déconstruction d’un mythe que nous invite ce livre. Au sortir de ce parcours, on est surpris par la cohérence du propos marquée par la persistance de la rigueur et du style. » http://www.lightmotiv.com/?page=editions&idkey=29
C’est à la déconstruction d’un mythe que nous invite ce livre. Au sortir de ce parcours, on est surpris par la cohérence du propos marquée par la persistance de la rigueur et du style. » http://www.lightmotiv.com/?page=editions&idkey=29
«Haïti est découverte par Christophe Colomb le 6 décembre 1492. Très vite, les Indiens sont exterminés par les maladies et le travail forcé. Début XVIe siècle, les Indiens ont été remplacés par les esclaves noirs ramenés d’Afrique: c’est le début du commerce triangulaire. Haïti est alors considérée comme la “perle des Antilles”, c’est la colonie française qui rapporte le plus d’argent. On y trouve d’abord des métaux précieux mais en faible quantité donc le commerce est ensuite tourné vers l’agriculture. On y trouve du cacao, du sucre, du coton, du café ou encore l’indigo.»
«Ce commerce enrichit tout le littoral français de Nantes à Bordeaux et le roi prélève un montant sur chaque importation. Puis la Révolution française apporte les nouvelles idées humanistes. Les colons veulent s’émanciper de la France, alors déstabilisée, pour pouvoir commercer avec d’autres pays. En parallèle l’idée d’émancipation s’étend, portée par les affranchis libérés de l'esclavage, souvent des "mulâtres", ces enfants de mère haïtienne et de père colon. (Le terme forgé à l'époque coloniale est toujours employé à Haïti aujourd'hui par l'ensemble de la population.) Les affranchis ont un statut particulier, ils sont parfois eux-mêmes propriétaires d’esclaves, mais ce sont des citoyens à part qui n'ont pas les mêmes droits que les colons français.»
«Au même moment, en août 1791, les premières révoltes d’esclaves naissent dans le nord d’Haïti. Après une lutte interne entre esclaves noirs et "mulâtres", ils finissent par s’unir avec Toussaint Louverture et tous les colons français sont alors chassés ou tués et une partie des plantations sont brûlées ou détruites car elles sont le symbole de l’esclavagisme. L’indépendance du pays est actée en 1804. Mais rapidement, certains Haïtiens se disent que la seule richesse du pays est la production et qu’il faut remettre le pays au travail pour qu’il continue d’exister économiquement et que la République noire haïtienne puisse perdurer. Cela se fera parfois par la force, et un certain nombre d’anciens esclaves retravaillent dans les champs de cannes.»
«Les notions de races et de couleurs perdurent car elles sont un héritage direct de la colonisation qui avait mis en place “le code noir” qui instaure une ségrégation en fonction du pourcentage de sang blanc dans les veines. Il y avait une cartographie de classification des races en fonction des différentes nuances de noirs jusqu’au blanc. Même après l’indépendance, la notion raciale a continué à être présente à Haïti alors que la constitution haïtienne avait la volonté d'effacer ces classifications instaurées par les colons. Elle stipule notamment que les haïtiens ne peuvent être différenciés selon leur couleur de peau. Or, la discrimination par la couleur s’est maintenue au niveau économique et les "mulâtres" ont pris les rênes de l’économie et relancé les plantations.»
«Ainsi, lorsque François Duvalier accède au pouvoir en 1957 en instaurant une dictature, il a cette volonté d’utiliser le “noirisme”, idéologie prônant la supériorité des noirs sur les "mulâtres". Il joue sur l’envie de vengeance des noirs face aux "mulâtres", permettant ainsi de faire accéder certains noirs à une bourgeoisie jusqu’à présent difficile à atteindre. Lors des dernières élections présidentielles, des candidats mettaient encore en avant de façon populiste leur couleur de peau (noire) pour se présenter comme de "vrais haïtiens".»
«La bourgeoisie haïtienne est intimement liée à ces grandes famille qui ont repris les rênes de l’économie, qui étaient souvent des "mulâtres". Ces familles sont beaucoup restées entre-elles et ont reproduit un schéma social qui perdure jusqu’à présent. Au début des années 2000, il y a eu un pic de criminalité et de violence suite à l’instabilité politique. Ces familles faisaient alors l’objet d’enlèvements contre rançons. Elles ont donc dû se protéger, se barricader dans leurs villas, ces familles ne sortaient jamais à pieds et se sont isolées face au reste de la population. Quand on va dans une soirée huppée de Pétionville, le quartier chic de la capitale, la plupart des gens sont métis ou clairs de peau. Dans la mentalité de tous les haïtiens, quand on est très noir de peau on est immédiatement catégorisé comme pauvre et les "mulâtres" sont nécessairement riches.»
«À la fin du XIXe siècle, il y a eu une immigration venue du Liban, de la Syrie mais aussi d’Allemagne et d’Italie. C’était souvent des familles assez pauvres qui vendaient dans les rues le commerce qu’elles avaient apportées avec elles. Les haïtiens les regardaient avec beaucoup de mépris car ils vendaient à même le sol ce qui ne se faisait pas du tout l’époque. Ils étaient aussi rejetés car ils concurrençaient les commerçants haïtiens. Rapidement, les libano-syriens qui sont restés définitivement sur l’île ont réussi à se faire une place dans le commerce en développant surtout l’import-export.»
«Ce sont eux ensuite qui ont ouverts les premiers supermarchés de l’île et qui les détiennent tous aujourd’hui. Ces familles parlent parfaitement créole et français et se sentent complètement haïtiennes. On dit que 3% de ces familles de la bourgeoisie (d’origine arabe et "mulâtres") détiennent plus de 80% des richesses. Jusqu’à la fin des années 1990, tous ces commerçants avaient des boutiques et des entrepôts au centre ville, près du port. Ils ont ensuite commencé à déplacer leurs boutiques et leurs maisons vers Piétonville, sur les hauteurs de la capitale, et le processus s’est accéléré avec le tremblement de terre de 2010 lorsque beaucoup de ces entrepôts se sont effondrés. Le bas de la ville a été abandonné au marché informel.»
«Les gens de la bourgeoisie actuelle sont encore appelés les "mulâtres". Il y a une multitude de termes utilisés en fonction de la couleur de la peau qui perdurent. Ces termes sont beaucoup utilisés par les haïtiens de la rue. Par exemple, être une “grimèl” chez une femme, c’est à dire légèrement claire de peau, est considéré comme une qualité esthétique supérieure. Un avantage social souvent. Mais c'est un terme issu du code noir. Quand j’aborde la notion de racisme ou de discrimination à mon chauffeur moto, il ne le perçoit pas comme tel. Les complexes d’infériorité ou de supériorité raciales sont encore profondément ancrés dans les mentalités. Chez les riches comme chez les pauvres. Lourd héritage du passé colonial qui n’a de cesse de perdurer.»
"Haïti est un pays qui m’a marqué. A chaque fois que j’y retourne, je construis une relation fidèle avec ce pays. Avec Haïti, c’est un amour construit et intense. C’est un plaisir d’être là-bas et même en dehors du travail. Tellement de choses m’ont marqué. Il y a une injustice quand Haïti est traité uniquement sur le plan de la violence, du misérabilisme ou de l’humanitaire. C’est un pays qui est tellement plus complexe, tellement plus riche, tellement plus vivant que ces images de mort que l’on voit. C’est ce qui m’a motivé et qui n’est pas simple à aborder. Haïti est extrêmement vivant, très attachant et vraiment intense. On ne voit jamais ce côté-là dans la presse. Cette image n’est pas fausse, mais faussée. Caricaturale je dirais»
Alors que les rues de Port-au-Prince se couvrent d’affiches électorales, la situation sécuritaire se tend et inquiète la communauté des expatriés. La fréquence des vols, agressions, meurtres et enlèvements - une Française a été retenue une semaine en otage l’an passé - s’est intensifiée à mesure qu’approche l’échéance électorale. Mais dans ce pays où 78 % de la population vit sous le seuil de la pauvreté absolue, où cinq familles haïtiennes détiennent le quasi-monopole des richesses et où le budget de l’Etat pour l’exercice fiscal 2015-2016 ne s’élève qu’à 122,6 milliards de gourdes (1,8 milliard d’euros), la communauté des expatriés, qui ont afflué depuis le tremblement de terre du 12 janvier 2010, fait figure d’étrangeté.
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Dans son grand appartement sur les hauteurs de Pétionville, municipalité collée à Port-au-Prince et où vivent la plupart des étrangers, Thibault mange des céréales à 11 dollars le paquet avant de fumer cigarette sur cigarette. «Au fond, on ne sait rien du pays, déplore-t-il. On le voit derrière les vitres de nos voitures blindées. On traverse des zones entières sans eau courante, sans électricité, où les gens vivent avec moins d’un dollar par jour. Pour le montrer à nos proches, on prend des photos depuis nos 4 × 4, comme si on était dans un zoo.»
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Thibault vient de reconduire son contrat pour des raisons financières. «En France, je ne suis rien. A Haïti, j’ai une grande maison, un chauffeur, une femme de ménage - heureusement, je n’ai jamais aimé faire la vaisselle. Mais ici, je bois seul, en journée. Ça ne me serait jamais arrivé en France. On boit parce que c’est la seule chose qui nous reste à faire. On grossit, parce qu’on n’a même pas le droit de marcher. On s’aigrit, parce que c’est une vie de chiens.» Une dernière cigarette, et Thibault s’en va vers un énième barbecue. «J’espère qu’il y aura beaucoup d’alcool. J’en ai bien besoin.»
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Dans son grand appartement sur les hauteurs de Pétionville, municipalité collée à Port-au-Prince et où vivent la plupart des étrangers, Thibault mange des céréales à 11 dollars le paquet avant de fumer cigarette sur cigarette. «Au fond, on ne sait rien du pays, déplore-t-il. On le voit derrière les vitres de nos voitures blindées. On traverse des zones entières sans eau courante, sans électricité, où les gens vivent avec moins d’un dollar par jour. Pour le montrer à nos proches, on prend des photos depuis nos 4 × 4, comme si on était dans un zoo.»
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Thibault vient de reconduire son contrat pour des raisons financières. «En France, je ne suis rien. A Haïti, j’ai une grande maison, un chauffeur, une femme de ménage - heureusement, je n’ai jamais aimé faire la vaisselle. Mais ici, je bois seul, en journée. Ça ne me serait jamais arrivé en France. On boit parce que c’est la seule chose qui nous reste à faire. On grossit, parce qu’on n’a même pas le droit de marcher. On s’aigrit, parce que c’est une vie de chiens.» Une dernière cigarette, et Thibault s’en va vers un énième barbecue. «J’espère qu’il y aura beaucoup d’alcool. J’en ai bien besoin.»
La communauté des expatriés est souvent vue d’un mauvais œil par les Haïtiens. Stevenson, natif de Port-au-Prince, n’a pas de mots assez durs pour décrire les expatriés qu’il voit défiler du haut de 4 × 4 blancs. «Ils se posent en sauveurs de l’humanité avec leurs sacs de riz, mais la plupart ne nous regardent même pas.»
http://www.liberation.fr/planete/2016/11/18/haiti-des-expatries-en-vase-clos_1529461
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