J'atteignais seize ans. Une timidité excessive m'était venue de cette aptitude à souffrir de tout. Me sentant découvert contre toutes les attaques du hasard ou de la destinée, je redoutais tous les contacts, toutes les approches, tous les évènements. Je vivais en éveil comme sous la menace constante d'un malheur inconnu et toujours attendu. Je n'osais ni parler, ni agir en public. J'avais bien cette sensation que la vie est une bataille, une lutte effroyable où on reçoit des coups épouvantables, des blessures douloureuses, mortelles. Au lieu de nourrir, comme tous les hommes, l'espérance heureuse du lendemain, j'en gardais seulement la crainte confuse et je sentais en moi une envie de me cacher, d'éviter ce combat où je serais vaincu et tué.
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je commençai à voir clair en moi. Je compris pourquoi toutes les petites misères de chaque jour prenaient à mes yeux une importance de catastrophe; je m'aperçus que j'étais organisé pour souffrir affreusement de tout, pour percevoir, multipliés par ma sensibilité malade, toutes les impressions douloureuses, et une peur atroce de la vie me saisit. J'étais sans passions, sans ambitions; je me décidai à sacrifier les joies possibles pour éviter les douleurs certaines....
Après, Maupassant