" Ce n'est pas encore Gangnam Style, mais une vidéo parodique qui exhorte les Africains à envoyer des radiateurs aux "pauvres" Norvégiens frigorifiés connaît un joli succès en fustigeant le misérabilisme généralement associé aux actions caritatives.
Des Africains souriants se mobilisent pour aider des Scandinaves emmitouflés et pris dans le blizzard, alors qu'une chorale chante façon Band Aid: "Africa for Norway", renversant avec humour les rôles stéréotypés d'ordinaire campés par un continent "maudit" et l'un des pays les plus riches au monde.
"La perception de l'Afrique est très lacunaire", explique à l'AFP Erik Schreiner Evans, président du Fonds d'aide internationale des étudiants et universitaires norvégiens (SAIH), à l'origine du projet.
"L'immense majorité des gens ont en tête ces catastrophes, ces famines et cette extrême pauvreté, et ignorent les évolutions positives sur ce continent. C'est toujours la même vieille rengaine: des enfants affamés, des femmes opprimées et des hommes fous en armes", déplore-t-il.
Fondée en 1961 en opposition à l'apartheid, l'organisation étudiante, qui promeut aujourd'hui l'éducation dans les pays du Sud, s'irrite des images "simplistes" véhiculées par les médias et les bons Samaritains eux-mêmes.
"Les médias veulent des sensations fortes, les journalistes travaillent contre la montre et les oeuvres caritatives veulent des dons. Tout cela contribue à une surenchère d'images choquantes et étouffe les chances de brosser un tableau plus nuancé, plus positif", estime M. Schreiner Evans.
Aussi bien dans son contenu que dans son titre, "Africa for Norway" parodie ouvertement le clip "We Are the World" du collectif "USA for Africa" dirigé par Michael Jackson et Lionel Ritchie en 1985.
"Les gens n'ignorent pas ceux qui meurent de faim, pourquoi devrions-nous ignorer ceux qui ont froid?", s'interroge le rappeur sud-africain Breezy V dans la vidéo. "Les engelures tuent aussi", dit-il.
S'il s'en inspire, SAIH regrette que les grandes mobilisations d'artistes contre la famine en Ethiopie dans les années 1980 aient, malgré leurs bonnes intentions, contribué à figer les perceptions d'un continent irrémédiablement voué à l'assistanat.
Dans son tube "Do They Know It's Christmas?", le groupe Band Aid dépeignait ainsi une Afrique où "rien ne pousse jamais" et où "aucune rivière ni pluie ne coule".
"Dans la plupart des vidéos que je vois à la télé, je me dis: +Mais ce n'est pas moi! Ce n'est pas où je vis! Ce n'est pas mon Afrique!+", a confié à la BBC l'étudiante Samke Mkhize, fausse collectrice de radiateurs dans la campagne baptisée Radi-Aid (un autre clin d'oeil).
"On occulte les problèmes structurels avec des textes simplistes et réducteurs" qui "perpétuent la conception d'un Sud pauvre, en situation d'échec, récipiendaire d'aide passif", renchérit M. Schreiner Evans.
S'il enjoint le public de continuer à faire des dons, le jeune homme de 32 ans estime qu'il faudrait s'attaquer aux fléaux plus larges que ceux présentés par les oeuvres caritatives et le reportage-type à la TV.
"On devrait davantage réfléchir à la politique commerciale de nos pays, à leur politique agricole, à nos propres choix de consommation qui sont à la base de ces problèmes structurels", affirme-t-il.
La vidéo, qui frappe par son réalisme, a en tout cas connu un grand retentissement: vue plus de 1,4 million de fois sur YouTube en moins de deux semaines, elle a fait le buzz sur les médias sociaux et généré un débat dans les milieux spécialisés dans l'aide au développement.
Et, parmi les innombrables réactions positives, SAIH a reçu le coup de téléphone d'une Norvégienne voulant savoir où elle pouvait envoyer son radiateur."
http://www.liberation.fr/depeches/2012/11/29/des-radiateurs-africains-pour-la-norvege