qu'à la droite de la droite...
A l'extrême droite, la pandémie est réutilisée pour servir un discours identitaire qui rejette la faute sur «l'invasion migratoire» et demande une fermeture pérenne des frontières.
Depuis qu’il est confiné chez lui à cause du coronavirus, Damien Rieu a le tweet encore plus frénétique que d’habitude. Lundi, il a posté une photo de jeunes assis sur un banc à discuter en attendant le bus, casquettes, capuches, l’un portant un masque de protection. Les types dessus n’ont pas l’air méchants, mais ils ont l’air d’être maghrébins. Commentaire de Rieu : «Le confinement des dealers, c’est pas gagné». La photo est partagée des centaines de fois.
Sur Twitter, Damien Rieu (ou plutôt Lefèvre, son vrai nom) est suivi par 62 000 comptes. Il jouit d’un macaron «certifié», et se présente comme un «lanceur d’alertes de la France périphérique». Mais en vérité il est l’assistant parlementaire du député européen Philippe Olivier, beau-frère de Marine Le Pen, après avoir travaillé pour le porte-parole du RN, Julien Sanchez, et pour le député Gilbert Collard. Damien Rieu est un identitaire pur jus, du genre à passer ses vacances sur le bateau antimigrants de Defend Europe, ou à contribuer à Fdesouche, média anxiogène pour internautes flippés, anti-islam et anti-étrangers.
Mardi, Rieu postait
une vidéo de nuit, prise (comme la photo du banc) derrière la vitre d’une auto. On y voit un groupe d’hommes à la peau noire devant un restaurant McDo. Certains sont allongés par terre. On est à Lyon. Damien Lefèvre-Rieu interpelle la police nationale, présente aussi sur le réseau social :
«Il y a des troupeaux de dealers à dégager place Gabriel-Péri, à l’instant !»
Le même jour, le militant relayait les images d’une femme refusant de se soumettre à un contrôle de police. En plein confinement, on la voit tousser sur les forces de l’ordre pour les faire déguerpir. La vidéo, tournée par un journaliste du site Actu.fr, dont une partie du reportage du jour sera diffusée plus tard sur BFM TV, a été prise boulevard Barbès, à Paris (XVIIIe). La femme sur la vidéo est noire, elle a un accent.
Alors un follower de Rieu répond par un gif montrant Jordan Bardella, vice-président du RN, répéter «Dehors !». Un autre commente avec une «carte des QI», ce planisphère très prisé des internautes d’extrême droite. Dessus, il y a du rouge sombre et du bleu ciel, selon qu’on serait plus ou moins intelligent, en fonction de la partie du monde d’où l’on vient. Sans valeur scientifique, l’objet a été créé par un racialiste irlandais affirmant qu’il y a lien entre facultés mentales et géographie. Bien sûr, les pays d’Afrique sont mal placés, et la France se situe dans le haut du panier.
Mercredi, les abonnés de Rieu ont aussi eu droit à un «Bon retour aux Algériens de France chez eux !», avec une capture d’écran d’un article de Sputnik, média pro-Kremlin parlant de vols pour «rapatrier des Algériens coincés en France» à cause du Covid-19. L’information sera reprise plus tard sur le site de TV Libertés, chaîne YouTube d’extrême droite. La boucle de la fachosphère est bouclée.
Avant cela, Rieu avait relayé une série d'images. Celle, non sourcée, d’une longue queue en bas d’un immeuble : «Certains font des provisions» (de drogue). Une autre montre des blindés d'infanterie remorqués sur l'autoroute et Rieu se prend à rêver que «si l’armée confine aussi les banlieues, ça serait bien d’en profiter pour rétablir l’ordre définitivement». Tant pis si le déplacement de matériel n'a rien à voir avec le coronavirus... il balance aussi des vidéos, des scènes de violences, entrecoupées de messages de paix : «La France vit un moment terrible. Comme en 2015, on ne pourrait [pas] ressortir nos drapeaux bleu-blanc-rouge aux fenêtres» ? Trait d’esprit : «Les islamistes se réjouissent du coronavirus : bars fermés, femmes avec des masques, plus de serrage de main. Coranvirus.» Systématiquement, les «coupables» sont des non-Blancs, présentés comme issus de l’immigration. Comme lorsque Rieu diffuse un film du syndicat de police Synergie-Officiers, tourné on ne sait où ni quand, montrant soi-disant des jeunes refusant la présence d’une bagnole de flics dans leur cité. Rieu propose : «Il faut peut-être les confiner dans leur pays ?»
A chaque fois ou presque, les tweets sont relayés par ses copains de Génération identitaire (GI). Le groupe d’activistes, doué en communication, diffuse sa propagande xénophobe grâce à des codes visuels avenants : gens bien coiffés, affiches roses et goodies turquoises. GI parle derrière de «grand remplacement», prône la fermeture des frontières et la remigration, soit le retour contraint des immigrés extra-européens et de leur descendants dans leur pays d’origine. Sur Twitter, en ce moment, on reconnaît ses sympathisants à leur drapeau grec dans leur pseudo. Parce que Génération Identitaire «soutient le peuple grec, en première ligne contre l’invasion migratoire !» dit son porte-parole Romain Espino.
En période de confinement, ces jeunes coordonnés s’en donnent particulièrement à cœur joie sur les réseaux sociaux. L’un d’eux poste que «dans les quartiers d’immigrés, ça ne respecte pas les fermetures obligatoires des magasins». Un autre détourne une vidéo d’un discours de Macron à Marseille : «Qui est encore dehors quand toute la France est confinée ? Les Algériens, les Marocains, les Tunisiens, les Maliens…» Espino relaye une des vidéos du journaliste d’Actu.fr, montrant une policière entrer dans une boucherie africaine dans le quartier de Château-Rouge, en hurlant dans un mégaphone «une personne par une personne dans la boutique», consigne pas respectée dans l’instant. Il commente : «"Toujours les mêmes" diront certains.»
Ces vagues de messages ouvertement racistes ne sont pas neuves, mais elles ont redoublé d’intensité avec le coronavirus. Le but, c’est de
«mettre en avant le caractère ethnique de certaines personnes qui ne respectent pas les consignes», estime Jean-Yves Camus, chercheur spécialiste de l’extrême droite. L’épidémie actuelle n’est qu’un prétexte de plus à l’obsession identitaire : comme dans «tout événement extraordinaire», il faut trouver un bouc émissaire contre lequel se retourner.
Il y a une tentative constante chez ces gens-là d’accréditer
la thèse, centrale de leur discours, qu’il faut mettre en place la remigration.» Le week-end dernier, les heures qui ont suivi l’allocution de Macron demandant aux Français de limiter leurs déplacements, «il y a eu un manque de respect des règles venant de personnes très nombreuses et variées, un relâchement bien français», rappelle Jean-Yves Camus. Mais seule une partie des images a attiré l’attention des identitaires… Ce n’est pas eux qui diffuseront les images des propriétaires de résidences secondaires quittant les villes pour la campagne au risque d’apporter le virus avec eux.
A leurs posts quotidiens sur les réseaux sociaux s’ajoutent les raids de commentateurs anonymes sous les articles de presse ou les posts Facebook. «Cela prend tout de suite, et les vidéos deviennent virales», raconte un modérateur. On cherche à ce que les images soient repérées et reprises par un média à l’audience nationale, par effet d’accumulation. «C’est toujours assez facile de mettre en avant certaines choses pour les transformer en généralités», souligne Jean-Yves Camus. Mais, selon lui,
«utiliser l’épidémie actuelle devrait tomber à plat, parce que l’origine du virus est différente» de celle des personnes que l’extrême droite «cherche à cibler en priorité». Au moment de l’épidémie d’Ebola, dont le virus a été découvert en RDC, le discours radical était en effet plus «direct» : Jean-Marie Le Pen avait souhaité que «Monseigneur Ebola» se charge de résoudre une prétendue menace de «submersion» migratoire.
La période de confinement a toutefois d’autres atouts politiques en réserve, et la présidente du RN, Marine Le Pen, qui compte bien en profiter, a commencé à affirmer que l’épisode lui donne raison. Un credo régulier qui se nourrit des limites patentes de l’Union européenne comme de la mondialisation libérale et ses migrations «incontrôlées».
Pour les identitaires, «puisque nous avons été obligés de contrôler les frontières, cela prouve qu’il est possible de les fermer, et même que c’est souhaitable, anticipe Camus. Et puisque les contrôles ont permis de limiter la diffusion du virus, pourquoi les arrêter ? L’intervention de l’Etat est nécessaire pour maintenir l’économie ? Cela prouve qu’il faut davantage d’intervention étatique.»
Certains au RN ont déjà adapté leur discours aux circonstances. Mercredi, Jordan Bardella a partagé sur Twitter un article de Valeurs actuelles titré «Barbès, Château-Rouge, La Chapelle : ces quartiers où l’on se fiche des règles de confinement». On y parle des vidéos d’Actu.fr mais pas de Belle-Ile-en-Mer. Et Bardella de commenter, façon «identitaire», mais en plus policé, que «les Français n’accepteraient pas qu’il puisse y avoir un confinement à géométrie variable. L’Etat doit mettre les moyens de faire appliquer partout les mêmes consignes !» Au même moment, un militant de GI affirmait, lui, que «les racailles ne laisseront personne en paix, virus ou pas».
https://oeilsurlefront.liberation.fr/les-idees/2020/03/20/identitaires-rn-comment-l-extreme-droite-veut-profiter-du-coronavirus