de Tania de Montaigne...qui nous était sympathique avant sa misérable tentative d'importer en France l'affaire Saldana/Nina Simone et cet article con dans Libé....
Bon heu ! je savais que derrière le choix de Rosa Parks, il y avait du colorism...mot que miss De Montaigne semble ignorer...avec l'histoire de Claudette Colvin, elle me le confirme....principale qualité du bouquin : 164 pages, ça se lit très très très vite....son style se rapproche de ses chroniques radio....
et j'ai lu des auteurs noirs ricains...donc...bof !
De Montaigne qui écrit sur Colvin....Confiant qui nous déterre de nul part mam' Steph' Sinclair....
p.12: dans mon enfance, il n'y avait plus le visage passé au cirage noir ni la bouche peinte en rouge, Jim Crow n'existait pas, c'était la France des années 1980, mais un comique blanc, qu'on voyait souvent, et que les femmes trouvaient très séduisant d'ailleurs, avait pour habitude d'imiter un "africain". Le personnage n'avait pas de nom, on ne disait pas de quel pays, il était, c'était simplement "l'africain". Bien sûr, je pense que ce comique n'aurait jamais pensé à imiter un personnage appelé "l'européen". D'ailleurs, si on lui avait suggéré, il aurait ri en disant :"ne soyez pas ridicule, l'Europe est un continent, pas un pays, un Norvégien n'a rien à voir avec un Portugais". Mais pour l'Afrique, c'était différent, ça semblait aller de soi. Il y avait une évidence à penser qu'en ces lieux étaient regroupés des gens semblables en tout point, puisque noirs, une masse compacte et uniforme qui d'un bout à l'autre du continent, parlait la même langue, avait la même histoire, la même géographie, le même visage. Dans cette Afrique qui sentait bon l'exposition coloniale, vivaient bien sûr des gens à l'accent ridicule et aux narines gigantesques. En me rappelant ces souvenirs des années 1930, aperçues dans les films ou les livres d'histoire, des souvenirs d'affiches où se déploie en gros plan "le juif avec son nez crochu". "le juif", "l'africain", leur nez parle contre eux. Le nez comme marqueur de l'étrangeté, de l'impossible citoyenneté.
A "l'africain" des années 1980, le comique à la belle allure faisait dire cette phrase dont je me souviens encore avec effroi : "c'est pas mes lunettes, c'est mes narines ! ". Quelle trouvaille. Les gens riaient de cette blague et ceux qui n'en riaient pas étaient accusés de ne pas avoir le sens de l'humour, sous-entendant par là que le comique ne faisait qu'exagérer une évidence et que s'en offusquer, revenait à ne pas tenir compte du réel. "Bah quoi, si on peut plus rire".
p.28 : vous pensez encore comme un citoyen à part entière et vous vous dites que c'est par le vote que les choses changeront. Le pouvoir des urnes, bien sûr. Seulement, pour être enregistré sur les listes électorales, il faut passer un test, le "literacy test", qui mesure votre aptitude à lire, écrire et comprendre la Constitution. Et pour passer ce test, il faut vous inscrire. Quand ? Il n'y a pas de date ni d'heure, à vous de trouver. Sachez quand même que le bureau d'inscription ouvre entre dix heures et midi, quand vous êtes au travail. Comme vous êtes motivé, vous prendrez certainement un congé et vous irez vous placer dans la file d'attente. Là, il faudra encore que vous soyez bien placé parce que, si d'aventure vous n'étiez pas reçu avant midi, les portes fermeraient sans qu'on ait pris la peine de vous inscrire et vous seriez revenu à la case départ. Mais avec un peu de persévérance, vous finirez bien par arriver le bon jour à la bonne heure, n'est- ce pas ? Vous passerez alors le test et répondrez correctement aux 20, 30,40, 50, 60 questions. Félicitations. Puis, vous attendrez le résultat qui vous sera envoyé par la poste. Si vous étiez blanc, on vous le donnerait directement mais dans votre cas, il faut attendre le courrier. Alors , vous attendrez. Au bout d'un moment, n'ayant rien reçu, vous retournerez au guichet de la mairie pour savoir ce qui se passe et on vous dira que vous n'ayez jamais passé le test. Vous vous défendrez, jurant sur ce qui vous est le plus cher que vous l'avez réellement passé, mais devant les dénégations pernicieuses des employés du bureau des élections, vous constaterez que vous n'avez aucune preuve de votre passage. Ce sera votre parole contre la leur. Vous recommencerez donc tout le parcours ou vous baisserez les bras.
p.32 : ...à Montgomery, sur les 36 sièges que compte un bus, il est convenu que les 10 premiers sont réservés aux blancs et que donc logiquement les suivants sont pour les noirs...Mais s'il n'y a pas de place assise dans les premiers rangs et qu'un blanc se trouve dans l'obligation de rester debout, le noir du rang qui suit devra lui céder sa place. A l'inverse, quand tous les sièges des rangs réservés aux blancs sont vides alors que l'arrière du bus, lui, est plein, aucun noir n'est autorisé a s'asseoir chez les blancs...Donc un noir, qui était assis à sa place chez les noirs, s'est levé pour qu'un blanc puisse s'asseoir. Mais comme un blanc ne peut légalement pas être assis à côté d'un noir, ce sont tous les noirs qui étaient assis dans le même rang que celui qui s'est levé qui doivent se lever
p.38 : juste retour des choses pour Claudette qui doit son prénom à
l'actrice Claudette Colbert, star des années 1930 et 1940, à la peau d'albâtre,
héroïne de Capra, Lubitsch, Wilder, inoubliable Cléopâtre de Cecil B. DeMille.
Comme toutes les femmes qu'elle connaît, Claudette a la haine de soi chevillée au corps,
compagne visqueuse qui colle encore aujourd'hui aux pas des femmes et des
fillettes noires, partout dans le monde. Compagne perverse qui ferait vendre
son âme pour un pot de défrisant, pour un tube de crème éclaircissante. Savoir
que l'on peut perdre ses cheveux ou sa peau ne change rien à l'affaire, ce sont
les risques du métier, la continuation de la malédiction par d'autres moyens.
Que celle qui n'a jamais tiré sur ses cheveux comme on tirerait sur son pire
ennemi, que celle qui n’a jamais maudit son nez jamais
assez fin, ses lèvres jamais assez minces, que celle qui ne s’est jamais jeté
la première pierre lève le doigt . Ne jamais trouver grâce à ses propres yeux, se voir en
creux, s’envisager à travers des images de soi vrillées, c’est notre lot. Rien
n’allait rien ne va. Black n’est pas beautiful, partout dans le monde la beauté
noire pose encore dans les magazines, peau claire et brushing irréel. Partout
dans le monde, la beauté noire secoue au ralenti ses cheveux imaginaires, à
peine bouclés, dans des publicités pour shampooings qu’aucune personne noire
n’utilise. La beauté noire n’existe pas, elle est en négatif, elle est ce qu’on
n’a pas, le peau claire et les cheveux raides. C’était la vie de Claudette
Colvin, ce fut la mienne, c’est celle d’une petite fille congolaise croisée
dans un bus de Brazzaville, la tête coiffée d’un tissage qui lui fait comme une
perruque trop grande. Amérique, Europe, Afrique, quelque chose reste à
dépasser, quelque chose reste à inventer. Et en attendant, on défrise, on
brûle, on blanchit, on dilue, on achète pour des poignées d’euros des cheveux
synthétiques fabriqués à la chaîne ou des cheveux naturels cédés pour presque
rien par d’autres femmes d’un autre tiers-monde, on continue à suivre le rythme
effréné qu’imposent les canons d’une prétendue beauté universelle.
p.45 : je sais ce sentiment, je le
connais par cœur, mélange de « pour vivre heureux, vivons cachés » et
de parfaite intériorisation du mécanisme du racisme qui consiste à ne voir l’autre qu’en masse. Si un noir
fait quelque chose de mal, ce sont tous les noirs qui payent. Qu’un seul trébuche
et tous seront pointés du doigt. Parce qu’un seul a dit ou fait quelque chose
de contrevenant, on pourra dire : « vous les noirs, vous êtes comme
si ou comme ça », « vous les juifs vous faîtes ceci ou cela »,
« vous les musulmans, vous aimez ceci, vous n’aimez pas cela »….Et
nous finissons par le croire et nous finissons par le penser et alors ce
préjugé devient nôtre et nous nous surprenons un jour de dire face à un
évènement qui implique un noir si nous sommes noirs, un musulman si nous sommes
musulmans, un juif si nous sommes juifs… « ça n’est pas bon pour
« nous » .Qui est ce « nous ». Nous n’en savons rien mais
nous pensons désormais qu’il faut en tenir compte. Nous ne « nous »
envisageons que parfaits et irréprochables. Ça y est nous avons intégré la
pensée raciste, elle modifie notre regard comme une paire de lunettes aux
verres déformants. Et c’est une lutte en soi que de ne pas suivre cette pente,
que de ne pas se laisser gagner par ce « nous », par le principe de
ce qui est « bon pour nous », par la crainte de se faire remarquer,
par la peur de ce gendarme devenu intérieur, de ce croquemitaine, par le
processus d’une dilution de ce que nous sommes dans le plus petit dénominateur
commun.
p.48 : dans cette voiture qui roule vers
on ne sait où, les policiers insultent Claudette Colvin. Ils la tutoient, bien
sûr. Ils disent « sale
nègre », bien sûr. Ils disent aussi « sale pute noire », parce
que c’est une femme et que c’est ce qu’on dit quand on veut souhaiter le pire à
une femme, c’est toujours par là que ça passe, par le sexuel jeté au visage,
parle déshonneur. Plus de vertu, plus de morale, plus rien à respecter.
« Sale pute noire ». Qu’y a-t-il après la pute noire ?....
p.131 : Rosa Parks écrit dans son
autobiographie : « je n’avais pas de casier judiciaire, j’avais
travaillé toute ma vie, je n’étais pas enceinte d’un enfant illégitime. Les
blancs ne pourraient pas me pointer du doigt en disant que j’avais fait quoi
que ce soit pour mériter un tel traitement à l’exception d’être née noire. Et
l’opinion de tous les acteurs de cette époque converge en un point : Rosa
Parks était la seule personne qui pouvait permettre que tout arrive.
p.132 : Rosa Parks, bien que modeste,
pouvait parler à la classe moyenne, elle en avait d’ailleurs l’allure, les
codes, les fréquentations. Avec sa peau claire et ses cheveux raides, elle
était une émanation acceptable pour les blancs et enviable pour les noirs. Elle
avait une vie accomplie, impossible donc de s’y projeter en présageant du pire…
P.134 : ….quant à Rosa Parks, l’autre la vraie,
celle qui n’intéresse personne et vit dans les coulisses de sa propre
existence, elle a été licenciée au tout début de l’année 1956. Peu de temps
après son mari Raymond a démissionné du salon où il officiait comme coiffeur, son employeur ayant interdit
que le nom de Rosa soit prononcé dans ses locaux. Les Parks sont donc sans ressources.