le moustique-tigre est toujours là et tous les jours j'ai droit à mes morsures, surtout le bras gauche, qui était tout en cloques la semaine dernière, on aurait dit des lipomes, c'était bosselé...ça laisse de belles cicatrices...on a affaire à un ennemi silencieux et rageux....et Dieu sait quoi a provoqué une profonde entaille dans l'articulation interphalangienne distale intérieur de l'index de ma main droite et le mot c'est : aïe !
Je lis ....
p.28 : pour les croyants, l'instant de la mot est celui où on voit Dieu, non plus dans un miroir obscurément mais face à face. Même ceux qui ne croient pas croient quelque chose de ce genre : qu'au moment de passer de l'autre côté les mourants voient en un éclair défiler le film entier de leur vie, enfin intelligible. Et cette vision qui aurait dû avoir pour les vieux Romand la plénitude des choses accomplies avait été le triomphe du mensonge et du mal. Ils auraient dû voir Dieu et à sa place ils avaient vu, celui que la Bible appelle Satan, c'est-à-dire l'Adversaire.
p.83 : un document administratif étonnant figure au dossier c'est la correspondance échangée entre l'étudiant de seconde année Jean-Claude Romand et l'UER/Faculté de médecine de Lyon-Nord de 1975 à 1986. Deux fois lors des examens d'entée en troisième année, il a envoyé des lettres invoquant des raisons de santé pour ne pas s'y présenter. ces lettres sont assorties de certificats médicaux signés de praticiens différents, qui sans dire pourquoi , lui pescrivent de garder la chambre huit ou quinze jous_ tombant hélas, pendant les épreuves.
En 1978, la formulation reste la même mais le "certificat ci-joint" n'est pas joint.
D'où plusieurs lettres de relance, auxquelles il répond en faisant référence au fameux certificat comme s'il l'avait envoyé . Cette façon de jouer au con porte ses fruits : on l'avise qu'il n'est pas autorisé à se représenter en septembre .Mais il n'est pas ppécisé qu'il lui est défendu de se réinscrire en seconde année et c'est ce qu'il fera régulièrement jusqu'en 1985.
Chaque automne, il reçoit du service des inscriptions sa nouvelle carte d'étudiant et du service des examens la même lettre signé du doyen de l'UER, lui défendant de se représenter en septembre.
C'est seulement en novembre 1986 qu'une nouvelle chef de service a voulu savoir s'il était possible d'interdire à ce M.Romand, non sseulement de se représenter(ce qu'il ne faisait pas)mais encore de se réinscrire. On lui a répondu que le cas n'était pas prévu. Elle a convoqué l'étudiant fantôme qui n'est pas venu et sans doute alarmé par ce changement de ton, n'a plus donné de signe de vie.
En évoquant ces années d'études, la présidente, l'accusation et la défense se déclaraient également stupéfaits et il partageait leur stupéfaction. J'étais moi-même, dit-il, surpris que ce soit poossible. Il pouvait à la rigueur spéculer sur la pesanteur de l'administration, se bercer de l'idée qu'il n'était dans ses registres qu'un numéro, certainement pas imaginer s'inscrirait douze ans de suite en seconde année de médecine.
L'alerte, de toute façon, aurait dû venir bien avant, de ceux pour qui il n'était pas un numéro mais Jean-Claude l'ami, Jean-Claude le fiancé. Or rien ne s'est passé. Il assistait aux cours, fréquentait la bibliothèque universitaire. Il avait sur sa table, dans son studio, les mêmes manuels et polycopiés que les autres et continuait à prêter ses notes aux étudiants moins consciencieux que lui. Il déployait pour feindre de faire sa médecine la somme exacte de zéle et d'énergie qu'il lui aurait fallu pour la faire réellement.
p.91: les adultes n'en savaient guère plus.Interrogés ceux qui le connaissaient peu auraient dit qu'il avait un poste important à l'OMS et voyageait beaucoup, ceux qui le connaissaient bien, ajouté que ses recherches portaient sur l'artériosclérose, qu'il donnait des cours à lafaculté de Dijon, qu'il avait des contacts avec de hauts responsables politiques....Il était selon Florence "très cloisonné", séparant de façon stricte ses relations privées e tprofessionnelles, n'invitant jamais chez lui ses collègues de l'OMS, ne tolérant pas qu'on le dérange à la maison pour des questions de travail ni au bureau pour des raisons domestiques ou amicales. D'ailleurs, personne n'avait son numéro de téléphone au bureau, même sa femme qui le joignait par l'intermédiare du service Operator des PTT : on laissait un message à une boîte vocale qui le prévenait en envoyant un bip sur un petit appareil qu'il gardait toujours sur lui et très vite il rappelait. Ni elle ni personne ne trouvait ça bizarre. C'était un trait du caractère de Jean-Claude, comme son côté ours, dont elle plaisantait volontiers :"Un de ces jours, je vais apprendre que mon mari est un espion de l'Est".
p.93 : il avait aussi un tampon, des cartes de visites au nom du docteur Jean Claude Romand, ancien interne des hôpitaux de Paris, mais ne figurait dans aucun annuaire professionnel. Il a suffi, le lendemain de l'incendie de quelques coups de téléphone pour que s'effondre cette façade.Tout au long de l'instruction le juge n'a cessé de s'étonner que ces coups de téléphone n'aient pas été passés plus tôt, sans malice ni soupçon, simplement, parce que même quand on est "très cloisonné" travailler pendant 10 ans sans que jamais votre femme, ni vos amis vous appellent au bureau, cela n'existe pas. Il est impossible de penser à cette histoire sans se direqu'il y a là un mystère et une explication cachée. Mais le mystère, c'est qu'il n'y a pas d'explication et que si invraissemblable que cela paraisse cela s'est passé ainsi.
p.96 : les premiers temps, il allait tous les jours à l'OMS, ensuite plus irrégulièrement. Au lieu de la route de Genève, il prenait celle de Gex et Divonne ou celle de Bellegarde par laquelle on rejoint l'autoroute et Lyon. Il s'arrêtait dans une maison de la presse et achetait une brassée de journaux : quotidiens, magazines, revues scientifiques. Puis il allait les lire, soit dans un café, soit dans sa voiture. Il se garait sur un parking, sur une aire d'autoroute et restait là des heures, lisant, prenant des notes, somnolant. Il déjeunait d'un sandwich et continuait à lire l'après-midi dans un autre café, sur une autre aire de stationnement....Il y avait les voyages: congrès, séminaires, colloques, partout dans le monde. Il
achetait un guide du pays, Florence lui préparait sa valiise. Il partait au volant de sa voiture, qu'il était supposé laisser au parking...Dans une chambre d'hôtel moderne, souvent près de l'aeroport, il ôtait ses chaussures, s'allongeait sur le lit, et restait trois, quatre jours à regarder la télévision, les avions qui derrière la vitre décollaient et atterrissaient. Il étudiait le guide touristique pour ne pas se tromper dans les récits qu'il ferait à son retour....Au bout de quelques jours, il rentrait avec des cadeaux achetés dans une boutique de l'aéroport....
p.187 : le magistrat lui a d'abord paru glacial, mais il s'est peu à peu détendu et Luc a essayé de lui faire comprendre qu'il est facile de considérer Romand comme un monstre et ses amis comme une bande de bourgeois ridiculement naïfs, quand on connait la fin de l'histoire, mais qu'avat c'était différent. 39a a l'air idiot de dire ça, mais vous savez, c'était un type profondément gentil. Ca ne change rien à ce qu'il a fait, ça le rend encore plus terrible, mais il était gentil."