jeudi 4 mars 2021

Une expérience...noire

 à la recherche de...je tombe sur...

Face au racisme, cette femme noire a arrêté de fréquenter des hommes

euh c'est un peu....radical.... on a lu des articles mieux écrit....

extraits :

RACISME - “Moche”, “dégueulasse”, “guenon”, “solide comme du bois d’ébène”, “gros boule”... Ces mots, Lydia* les a entendus ou lus à différents moments de sa vie. Parfois sur les réseaux sociaux lorsqu’elle a osé s’exprimer sur la culture de dénigrement dont les femmes noires sont fréquemment l’objet. D’autres fois alors qu’elle se risquait à faire l’expérience des applications de rencontre.

Il est même arrivé que ces mots sortent de la bouche d’hommes avec qui elle entretenait une relation amoureuse. Des mots qu’elle n’oublie pas, bien qu’ils ne la touchent plus et qu’ils l’ont poussée à arrêter de fréquenter des hommes. Noirs, blancs, non blancs, la majorité de ceux qu’elle a rencontrés au cours de sa vie sentimentale ont eu des comportements abusifs, insultants et tout simplement racistes, qu’elle a cessé de tolérer il y a trois ans. Aujourd’hui en couple avec une femme noire, elle a raconté au HuffPost le parcours qui l’a poussée à mettre les hommes de côté.

J’ai le privilège de ne pas être hétéro. Du coup quand je me suis rendue compte que j’étais coincée à plusieurs niveaux avec les hommes, ça a été facile de sortir avec des femmes. Mais pour une personne qui est 100% hétéro, je ne sais pas quoi lui dire parce que moi j’ai tout simplement abandonné le navire.” Lydia est bisexuelle et malgré les difficultés que peuvent éprouver les personnes LGBT au quotidien, elle considère cela comme un avantage, car cela lui a permis de ne pas se couper de toute vie sociale et de vivre des relations épanouissantes.

Née dans les Antilles françaises, Lydia découvre à ses dépens ce qu’est le colorisme. Cette discrimination fondée sur la couleur de la peau, les traits du visage et les cheveux des personnes noires. Cette idéologie prend racine à l’époque du commerce triangulaire. Celle-ci considère que les personnes noires ayant la peau plus claire, des traits proches de ceux des personnes caucasiennes et des cheveux lisses ou a minima bouclés sont plus belles que celles dont les traits sont “négroïdes”, à la peau sombre et aux cheveux crépus. Dès le collège, elle est rejetée, harcelée et moquée parce qu’elle est “trop” noire et que ses cheveux ne sont pas assez lisses.

Les insultes et les moqueries viennent principalement des garçons qui, selon elle, affirment leur masculinité en dénigrant les groupes qui sont les plus dominés. Les femmes noires se retrouvant au plus bas de l’échelle, elles sont régulièrement l’objet d’un dénigrement institué depuis des siècles. Dans l’article Images de la femme noire dans l’Amérique contemporaine, la sociologue américaine Patricia Hill Collins explique comment les stéréotypes sur les femmes noires sont utilisés à des fins de domination d’une classe sur une autre avant d’être repris et alimentés par certains hommes noirs.
D’après la sociologue, tout a commencé avec le discours colonial, assimilant les personnes noires à des animaux sauvages. Après la lutte pour les droits civiques aux États-Unis, ceux qui ne pouvaient plus se rattacher à la notion de race se sont reportés sur des différences de classes, opposant peu à peu les noirs pauvres issus de la classe ouvrière à ceux de la classe moyenne. Et dans les années 80 à 90, cette nouvelle construction a eu pour effet de modifier ce qui représentait l’idéal de la masculinité et celui de la féminité pour les personnes noires.
″À mesure que la féminité et la masculinité noires se trouvaient reformulées au travers du prisme de la classe, une constellation mouvante d’images de la féminité noire reconfigurait la sexualité des femmes noires et venait donner une assise idéologique au nouveau racisme”, conclut Patricia Hill Collins dans son article.

“Quand on a l’esclavage et la colonisation qui sont passés par là, ça laisse des traces. Ça nous donne un statut particulier, en fait. Nous, femmes noires, dans l’échange avec le reste de la société, on se retrouve rapidement en bas de la pyramide”, confirme Lydia.

La jeune femme évoque ainsi ces hommes noirs qui “vont, dès le plus jeune âge, avoir le réflexe de se désolidariser totalement des femmes noires. Car qu’y a-t-il de mieux pour se désolidariser de se moquer de la personne afin de l’éloigner le plus possible?

Il n’y a rien de plus facile pour un mec noir, que de traîner avec d’autres mecs pour dénigrer les autres, raconte-t-elle. À ce moment-là, on devient une blague. Je pense que ça les nourrit dans leur masculinité quand ils sont petits de se moquer ensemble de la personne qui n’est pas désirable. Du coup ça crée des éléments de langage: ça fait des “Fatou tapées”, “niafou”, des choses comme ça. Des mots que j’ai appris quand je suis arrivée en France” métropolitaine

Car ce phénomène de colorisme ne frappe pas partout, de la même manière. “J’ai des copines qui racontent que ça leur est arrivé dès le primaire en France. Moi, je vivais aux Antilles, du coup c’était moins agressif mais c’était quand même présent. Des femmes qui ont grandi en région parisienne me racontaient que dès l’âge de 8 ans, elles ont été moquées par des garçons noirs. Ça continuait au collège, où on sait que c’est le bordel et que tout le monde fait ce qu’il peut pour s’en sortir. J’ai aussi eu des amies blanches qui ont été mises à part mais on ne leur reprochait pas leur physique. Là où j’étais, il n’y avait pas tout cet arsenal-là, il y avait du colorisme mais on n’en était pas là. » explique-t-elle.
Aujourd’hui, la jeune femme a assez de recul pour reconnaître que ces moqueries et agressions sont héritées d’une histoire qui a toujours mis la femme noire au ban de la société. Mais plus jeune, son ignorance des mécanismes de violences systémiques envers les minorités a eu pour conséquence d’installer un doute permanent en elle et sa capacité à entretenir des relations sentimentales comme tout le monde.
............................
Lydia découvre peu à peu que si les hommes blancs et non noirs ne se moquent pas d’elle ouvertement, ils s’intéressent souvent à elle à cause des clichés qui sont véhiculés sur les femmes noires : sensualité exacerbée, désir d’exotisme ou faire-valoir pour ceux qui sont fascinés par le rap américain.

“Ce rapport au corps on le trouve dans l’espace privé comme dans le public. Je ne suis pas la seule femme noire à s’être fait toucher les cheveux en plein open-space. Au bout d’un moment, ça ne peut pas être isolé. Il y a un rapport au corps des femmes noires. Et j’ai l’impression que dans l’imaginaire des personnes qui ne sont pas noires, c’est un corps qui est disponible pour des expériences, pour rechercher de l’exotisme, pour changer un peu. On m’a sorti ça une fois, ‘J’aimerais bien changer un peu’. C’est aussi un corps avec lequel on n’a pas besoin de mettre les formes, on peut faire ce qu’on veut, on demande ce qu’on veut et il n’y a pas de conséquence. Certains mecs se sont permis une extrême violence avec mon corps et lorsque je m’en suis plainte une fois je me suis retrouvée contrainte, on m’a répondu ‘Non mais toi, t’es solide comme le bois d’ébène ’”.
.........................
Lorsque Lydia fait l’expérience des applications de rencontres à l’âge adulte, elle découvre un autre aspect de cette forme de fétichisation et un racisme qui s’exprime en toute liberté grâce à l’illusion d’anonymat que donne ce genre d’outils...
L’expérience est éloquente. “Au final, j’ai reçu un cocktail d’exotisation, d’insultes, de propositions toutes aussi insultantes. Je ne pensais pas que certaines personnes pouvaient dire des choses pareilles. ‘J’ai toujours rêvé de me taper une guenon’, ça je m’en rappelle. Juste après un ‘Bonjour, ça va’. Ou toujours directement, ‘T’es black, j’ai toujours voulu me faire une black’. Tu discutes un petit peu, tu dis tes origines, tu dis que tu es des Antilles, que tu es noire, et on te répond tout de suite, ‘T’es une tigresse au lit, t’adores le cul. T’adores ça.’ ‘J’ai une grosse bite, je vais te faire monter au rideau.’ Donc beaucoup de choses comme ça qui ont fait que je ne rencontrais pas grand monde. J’ai peut-être fait deux ou trois ‘dates’ au final. Ça n’a pas été au-delà de ça parce que je me sentais déjà mal dans ma peau et je n’avais pas besoin sur de ces app pour qu’on m’insulte.
..................................

Qui ça ?

Glass Marcano
Comment Glass Marcano est devenue la première cheffe d'orchestre noire en France


Vénézuélienne de 24 ans
Des marchés du Venezuela à l'Opéra de Tours: portée par son énergie débordante, Glass Marcano a connu une ascension fulgurante. Elle est devenue la première cheffe d'orchestre noire à diriger en France depuis sa participation au concours La Maestra cet automne.
.............
Soutenue par la fondation Singer-Polignac depuis décembre 2020, Glass Marcano a tout fait pour participer à la première édition de La Maestra, concours international de cheffes d'orchestre organisé par la Philharmonie de Paris et le Paris Mozart Orchestra. «Je voulais faire ce concours à tout prix», raconte-t-elle. «Pour payer les 150 euros de frais d'inscription, j'ai vendu des fruits sur les marchés, chez moi, dans l'État d'Yaracuy. Ce concours a fait basculer ma vie en quelques jours
......................
Repérée sur Internet, la jeune femme impressionne Claire Gibault, la cheffe du Paris Mozart Orchestra. «Je l'ai découverte sur des vidéos. J'ai tout de suite été fascinée par son énergie et son charisme», affirme l'organisatrice du concours. La cheffe entreprend alors de faire venir à Paris sa jeune consœur en septembre, alors que l'espace aérien du Venezuela est fermé en raison de la crise sanitaire. L'ambassade de France à Caracas se démène, lui offre le visa et lui trouve un vol humanitaire espagnol, direction Madrid et l'Europe. «C'était la première fois qu'elle prenait l'avion et qu'elle sortait de son pays», se rappelle Claire Gibault. «C'est un beau conte de fées moderne.»
......................
Issue du programme d'enseignement El Sistema, qui propose une méthode d'apprentissage alternative de la musique, en parallèle d'une intégration sociale pour les jeunes défavorisés, Glass Marcano a commencé le violon à 8 ans. Elle s'oriente ensuite vers des études de droit, tout en dirigeant des orchestres d'enfants. La jeune femme vient d'intégrer le conservatoire régional de Paris dans la classe de perfectionnement.
.....................
«Je rêve de diriger à Vienne, à Londres, à la Scala de Milan, s'enthousiasme-t-elle. Mais pour ça je sais qu'il faut continuer de travailler, travailler toujours et encore.»
https://www.lefigaro.fr/culture/comment-glass-marcano-est-devenue-la-premiere-cheffe-d-orchestre-noire-en-france


Claudette C.



Le 2 mars 1955, l’adolescente a été arrêtée et incarcérée pour être restée assise dans un bus en Alabama. Une histoire éclipsée par le geste similaire de Rosa Parks neuf mois plus tard et qui est remise en lumière ces jours-ci aux Etats-Unis à l’occasion du Black History Month.

L’histoire populaire a retenu que Rosa Parks est la première femme noire américaine à être restée assise dans un bus pour protester contre les lois ségrégationnistes en décembre 1955. Or, une autre femme, neuf mois plus tôt, le 2 mars 1955, a fait exactement le même geste. Une adolescente dont l’histoire est mise en lumière ces jours-ci aux Etats-Unis à l’occasion du Black History Month, évènement qui commémore l’histoire noire-américaine.
Cette femme, c’est Claudette Colvin, et elle avait 15 ans lorsqu’elle est montée dans le bus, comme tous les jours, pour rentrer de l’école, à Montgomery en Alabama, état ségrégationniste du Sud. L’adolescente s’assoie à deux rangs de la sortie de secours, mais lorsque plusieurs passagers blancs montent à leur tour, le chauffeur lui demande de laisser sa place. Ce qu’elle refuse. Il stoppe donc le bus, appelle la police, et Claudette Colvin est arrêtée.
Elle a été condamnée par un tribunal pour enfants, puis incarcérée, avant qu’une somme ne soit rassemblée par des figures de la communauté noire locale, dont Rosa Parks, pour payer sa caution.
Neuf mois plus tard, sur la même ligne de bus, Rosa Parks justement refuse à son tour de laisser sa place et écope d’une amende de 15 dollars, avec l’écho que l’on connaît, retentissant, forçant la cour suprême à abolir la ségrégation dans les bus. Pourtant, sans le geste de Claudette Colvin, il n’y aurait pas eu celui de Rosa Parks. Pourquoi donc a-t-elle été oubliée ? "Parce qu’on a jugé que son image à elle était plus acceptable que la mienne, explique Claudette Colvin à CNN, plus efficace pour convaincre l’Amérique blanche. Moi j’étais une adolescente, qu’on disait un peu folle, et qui plus est à la peau plus foncée."
Rosa Parks, elle, était une femme mariée, pieuse, une militante aguerrie et respectée, aux cheveux lisses et à la peau claire. Icône et porte-voix parfaite pour incarner la cause, au point d’avoir éclipsé la vraie pionnière à laquelle le temps fait finalement justice, puisqu’au XXIe siècle, son histoire sort progressivement de l’oubli. À 81 ans maintenant, elle a désormais une journée annuelle à son nom, à Montgomery en Alabama, journée qui sera célébrée mardi 2 mars.

mercredi 3 mars 2021

Sur le pod'

 

Qui ça ?

 Paulette Nardal...
non seulement j'apprends son existence dont je ne sais pas quoi faire, mais qu'en 2019, il y avait beaucoup d'articles sur sa réhabilitation, reconnaissance suite à la parution d'un bouquin que le radar n'a pas détecté....
Paulette Nardal et les autres ne laissèrent que des articles publiés dans diverses revues, par exemple « Internationalisme noir » de Jane Nardal (formulé dans La dépêche africaine, en 1928) et, en premier lieu, La revue du monde noir (RMN), éditée à Paris entre novembre 1931 et avril 1932. Seize mois durant lesquels furent publiés six numéros.
Principalement co-fondée par Léonidas Sajous, originaire d'Haïti, et Paulette Nardal, arrivant au sein du paysage intellectuel et culturel nègre parisien après d'autres publications (La race nègre, Le cri des nègres, La dépêche africaine, etc.), qui, elles-mêmes, faisaient écho au mouvement de la Negro renaissance à Harlem à New York et à la pensée Indigène à Haïti, la RMN se démarqua en se voulant « essentiellement culturelle » , analyse Jack Corzani.
Que proclamait la RMN dans son manifeste ? « Ce que nous voulons faire : donner à l'élite intellectuelle de la Race noire et aux amis des Noirs un organe où publier leurs oeuvres artistiques, littéraires, ou scientifiques. Etudier et faire connaître par la voix de la presse, des livres, des conférences ou des cours, tout ce qui concerne la Civilisation Nègre, et les richesses naturelles de l'Afrique, patrie trois fois sacrée de la Race noire. Créer entre les Noirs du monde entier, sans distinction de nationalités, un lien intellectuel et moral qui leur permette de mieux se connaître, de s'aimer fraternellement, de défendre plus efficacement leurs intérêts collectifs et d'illustrer leur race (...) » .
L'option d'une revue bilingue, français et anglais, caractérisa aussi la RMN, qui découlait de « la culture de ces jeunes Antillaises francophones poursuivant des études d'anglais à la Sorbonne ou familiarisées avec cette langue au cours de vacances aux Antilles anglaises » , note Louis Thomas Achille. Ce dernier, qui préfaça la réédition, en 1992, des six numéros de la RMN par l'éditeur Jean-Michel Place, signalait que si il est vrai que ni Césaire, Damas ou Senghor ne portèrent de contributions à la RMN, par contre ils comptèrent parmi les visiteurs de Clamart, localité située à la périphérie de Paris.
Au 7 de la rue Hébert, pas très loin de la gare, les Nardal prirent leurs quartiers, ouvrirent un « salon » dominical, point de passage de l'intelligentsia nègre francophone ou anglophone, forcément sensible à cet accueil « raffiné » , ou à ce thé à l'anglaise servi pour entrecouper les conversations sur « l'actualité parisienne ou mondiale, en évitant d'éventuels choix politiques personnels ; on réfléchissait sur les problèmes coloniaux et interraciaux, sur la place croissante prise par les hommes et femmes de couleur dans la vie française, on s'alarmait de toute manifestation de racisme pour aller la combattre ailleurs, avec des moyens appropriés » .
Clamart précéda la publication de La Revue du monde noir et les textes majeurs de la Négritude. Le lien de parenté est indiscutable.

Née en 1896 en Martinique, Paulette Nardal était l'aînée d'une famille de sept sœurs qui ont ouvert la voie à ce courant littéraire et politique, principal mouvement d'émancipation des Noirs francophones au XXe siècle. Etudiantes à Paris dans les années 20, les sœurs Nardal tiennent salon dans leur maison de Clamart. S'y croisent des artistes qui portèrent la Harlem Renaissance, comme le célèbre militant panafricaniste Marcus Garvey, le romancier jamaïcain Claude McKay, mais aussi Aimé et Suzanne Césaire, le politicien Félix Eboué, le jeune Senghor que Paulette Nardal fait inscrire à l'université, et de nombreux autres étudiants, militants des droits civiques balbutiants.
Avant de recevoir tous les membres de l'intelligentsia noire de passage en métropole, les filles Nardal, dans l'ordre Paule, dite Paulette, Emilie, Alice, Jane, Lucy, Cécyl et Andrée, grandissent au François, une commune de l'est de la Martinique. Leur père, Paul Nardal, petit-fils d'esclave affranchi, est le premier ingénieur noir de l'île. Leur mère, Louise Achille, est une institutrice mulâtresse. La famille Nardal est mélomane : Louise transpose à merveille, les sept sœurs composent et interprètent. La maison familiale aux nombreux convives préfigure le salon de Clamart. Issues de la classe moyenne supérieure, les sept sœurs reçoivent une éducation «latine». Elles font leurs humanités, apprennent l'histoire de l'art occidental, dansent valses, quadrilles et feignent de mépriser la biguine. Trop créole. «Aux Antilles, on se méprise de nuance de peau à nuance de peau, soupire Paulette Nardal dans ses mémoires, et à cette époque, les Noirs ne pouvaient espérer obtenir ce qu'avaient ceux qui avaient le teint clair.» Elle affirme que l'ascension de leur père, administrateur public respecté, a été entravée par cette hiérarchisation sociale tacite qu'on appelle «colorisme». Les parents Nardal transmettent à leurs filles le goût de l'éducation, mais théorisent peu la question de l'égalité raciale, à laquelle ils sont moins sensibles. Peut-être est-ce en partie générationnel, sans doute est-ce lié à leur culture politique conservatrice. «Pensez-y toujours, n'en parlez jamais.» En France métropolitaine, avant la Première Guerre mondiale, l'expression évoque l'Alsace et la Lorraine. En Martinique, elle désigne la «question noire». C'est lorsqu'elles quittent «l'Ile aux fleurs» que les sœurs entament leur réflexion sur l'identité noire.

En 1920, Paulette a 24 ans. Elle quitte la Martinique, son travail d'institutrice, et part suivre des études d'anglais à Paris. Avec sa sœur Jane, qui choisit la littérature, elles sont les premières étudiantes noires inscrites à la Sorbonne. Paulette consacre son mémoire à Harriet Beecher Stowe et la Case de l'oncle Tom. Elle s'enthousiasme pour les negro spirituals, la cantatrice Marian Anderson et l'inévitable Joséphine Baker. En assistant à ces revues, Paulette Nardal s'éveille à ce qu'elle et Jane appellent la «conscience noire». «Quand je suis arrivée, je n'étais que mademoiselle Nardal. C'est en France que j'ai pris conscience de ma différence. Il y a certaines choses qui me l'ont fait sentir, et puis il ne faut pas oublier que nous avons été élevées dans l'admiration de toutes les œuvres produites par les Occidentaux. Inutile de vous dire à quel point j'ai été heureuse et fière de voir comment les Parisiens, les Français pouvaient vibrer devant ces productions noires», raconte-t-elle à Philippe Grollemund.
...................
En 1939, la déclaration de guerre de l'Allemagne à la France surprend Paulette Nardal en Martinique. Elle décide de retourner en métropole, mais le bateau qui l'y conduit est torpillé. Pendant un an, elle reste hospitalisée à Plymouth, sous les bombardements, avant de rentrer définitivement aux Antilles. Lourdement handicapée, atteinte d'un stress post-traumatique, elle souffrira de cette blessure à vie. Contrainte, elle réduit ses activités, mais fonde néanmoins à la fin de la guerre le Rassemblement féminin, un mouvement pour inciter les Martiniquaises à exercer leur droit de vote récemment acquis. Elle crée un nouveau journal, la Femme dans la cité, travaille ponctuellement pour les Nations unies. Au pays, les sœurs Nardal tentent de populariser l'art noir découvert à Paris. Peine perdue, selon Paulette : «Je me souviens qu'à son retour, ma sœur Jane a essayé de faire une conférence sur les negro spirituals. Elle s'est heurtée à une telle incompréhension qu'elle a presque perdu contenance.» Les engagements féministes et antiracistes, la détestation virulente du communisme, la ferveur catholique : Paulette Nardal rentre difficilement dans une case idéologique. Et cela déplaît : en 1956, un inconnu jette une torche enflammée par la fenêtre de sa maison. Sa famille la convainc de cesser ses activités politiques. Paulette Nardal fonde une chorale et, peu à peu, se dédie à ses activités musicales. Avec ses sœurs et son père, elles habitent la maison familiale de la rue Schœlcher, à Fort-de-France. Toutes se sont mariées, ont eu des enfants. Paulette, elle, trouve «l'affirmation de [son] indépendance dans [son] célibat».

Elle reprochera longtemps aux hommes de la négritude d'en avoir éclipsé les femmes, tout en reconnaissant, toujours ambivalente, qu'ils avaient exprimé avec «beaucoup plus d'étincelles» les idées qu'elle et Jane «brandissaient». Quand Césaire fonde Tropiques, sa revue surréaliste, Nardal admet son intérêt poétique, mais relève, amère, «l'admiration béate» pour l'ancien maire de Fort-de-France. «Sa plume a été provocante, mais lui n'a jamais été exposé à aucun danger.» A la fin de sa vie, son œuvre fait l'objet d'une reconnaissance tardive. Senghor cite, enfin, son influence. Ses travaux suscitent un regain d'intérêt, particulièrement aux Etats-Unis. L'intégrale de la Revue du monde noir est rééditée en 1992. Et cette année, deux rues, à Paris et à Clamart, prendront les noms de Paulette et Jane Nardal.
https://www.liberation.fr/debats/2019/02/26/paulette-nardal-theoricienne-oubliee-de-la-negritude