« La peau. Ils
sont obsédés par la peau. Une seule idée en tête : éclaircir la race. D'un
enfant qui naît plus clair que les autres, ils disent qu'il est
"sauvé". (...) Plus d'esclavage, plus de fouet, et pourtant il nous
suffit d'un claquement de doigts pour qu'elles s'allongent et écartent les
cuisses. Éclaircir la race. J'ai cru remarquer que vous regardiez mes
servantes. Des négresses, n'est-ce pas ? Mais non. Vous n'imaginez pas la
variété des noms qui marquent une toute petite différence de couleur :
mulâtresse, chabine, métisse, quarteronne, et j'en passe ...Ici, celui qui est
un peu plus clair méprise celui qui est un peu plus sombre. Et nous ? Avec
notre peau blanche, nous représentons l'idéal absolu, nous sommes en haut de
l'échelle et nous les regardons se bousculer pour escalader les échelons et se
casser la gueule, bien évidemment, car survient toujours un gros nègre tout
noir qui les fait retomber dans le goudron, comme ils disent ... »
" La Martinique aussi a connu la guerre. Qui s'en souvient?
Nous sommes en 1941. La bataille de l'Atlantique fait rage. Depuis la mise en place du blocus américain, on a faim à Fort-de-France et cependant la perspective d'un débarquement allié lève sur les criques, les mornes et les villages de sombres alizés. Bientôt,de Gaulle fera savoir qu'il apprécierait peu une mainmise de Washington sur les Antilles françaises, mais, en attendant, la Caraïbe a peur, et de l'hégémonie yankee et des officiers venus de métropole implanter la Révolution nationale, prônée par Vichy. C'est dans ce contexte qu'un U-boot allemand débarque sur une plage un officier nazi victime d'une péritonite. Les Vacances de l'Oberleutnant von La Rochelle commencent. Pour ce blondinet de 20 ans porteur de la peste brune, la convalescence constituera une parenthèse enchantée. Pour le lecteur, c'est un enchantement.
Le sous-marinier Klaus von La Rochelle n'était que préjugés, endoctrinement, prétention. 35 savoureux chapitres plus tard, voici notre coq obsédé de "pureté raciale" métamorphosé par les vertus du métissage. Grâce à un amollissement délicieux dans les bras des belles insulaires, à l'écoute du vent, des oiseaux-mouches et des autochtones, "Joli Monstre", c'est son surnom, change; sous les flamboyants, le serviteur du Reich est sacré king créole. C'est irrésistible, jamais caricatural, saupoudré de cannelle, de truculence et de musc.
Gilles Perrault, grand historien et fin romancier, dont le remarquable Garçon aux yeux gris (Fayard) a reçu le prix Simenon 2001, résout à merveille dans ce livre généreux, rapide et paillard un problème commun à plus d'un auteur de fiction: peut-on prendre pour héros un personnage indéfendable et s'attacher à lui, sans excès d'indulgence ou de complaisance à son égard? On peut, affaire de distance. Perrault, d'emblée, trouve la bonne, faite de gravité et de burlesque, d'ironie et de nuance, La Rochelle ne renonçant pas en bloc à tous ses principes et inclinations. Rhum et Coca cola, chantait-on à l'époque. Remplacez le Coca par le schnaps, et vous goûterez la saveur de l'ouvrage."
http://www.lexpress.fr/informations/la-parenthese-enchantee_646722.html
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